Loi ancienne.
Sous l’empire de la loi ancienne, le marché public de travaux se définissait en ces termes : « sont les contrats conclus à titre onéreux et qui ont pour objet soit l’exécution, soit la conception et l’exécution d’un ouvrage répondant à des besoins précisés par le pouvoir adjudicateur qui en exerce la maîtrise de l’ouvrage ».
La maîtrise de l’ouvrage était donc un critère essentiel permettant de qualifier un contrat de marché public de travaux.
En conséquence, le Conseil d’Etat a pu considérer que la qualification de marché de travaux devait être écartée :
« si les équipements réalisés par l’opérateur répondent sans doute aux besoins qu’elle a précisés, ce n’est toutefois pas la personne publique qui en exerce la maîtrise d’ouvrage mais bien l’opérateur en charge de construire les équipements » [6].
La seule réserve qui s’imposait tenait alors au transfert de propriété au bénéfice de la personne publique.
En cas de VEFA, il était nécessaire de s’assurer que la collectivité territoriale ne s’était pas libérée de son obligation d’assurer la maîtrise d’ouvrage. Si tel était le cas, le juge administratif n’hésitait pas à censurer les collectivités ayant détourné les règles de la maîtrise d’ouvrage publique [7].
La notion de maîtrise d’ouvrage aurait pu être opportune dans le cadre d’un BEFA car, par définition, la personne publique laisse à l’opérateur la maîtrise de l’ouvrage et n’accède pas à la propriété de l’immeuble contrairement à la VEFA.
Comme le confirme certains auteurs [8], l’exigence d’une maîtrise d’ouvrage publique interdisait la requalification, sur le fondement du droit national, de certains montages complexes et notamment le BEFA et la VEFA.
Toutefois, la notion de « maîtrise d’ouvrage » n’est plus un élément de définition du marché de travaux publics.
Loi nouvelle.
En effet, sous l’influence du droit communautaire, la directive 2014/24/UE a été transposé en droit français par l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.
En conséquence, sont considérés comme des marchés publics de travaux : « Les marchés ayant pour objet la réalisation, soit la conception et la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par l’acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception ».
Le droit interne s’aligne sur le droit de l’Union Européenne : l’absence de maîtrise d’ouvrage par l’acheteur ne devrait plus permettre aux partenaires contractuels de se soustraire aux règles procédurales applicables aux marchés publics [9].
Par ailleurs et comme le souligne très justement la doctrine [10], l’article 1er du Code des marchés publics n’évoque plus la notion de réponse « à des besoins précisés par le pouvoir adjudicateur » mais fait dorénavant référence à « l’influence déterminante » sur la nature ou la conception de l’ouvrage.
Pour ces deux raisons, la nouvelle définition est plus large que l’ancienne et attire dans son champ des montages qui, antérieurement, ne pouvaient juridiquement pas relever du droit des marchés publics.
Dérogations.
Il existe toutefois des possibilités de dérogation à la publicité et à la mise en concurrence.
Il convient de préciser, avant tout propos, que ces dérogations sont strictement limitées.
L’article 30 I, 3° b) du décret du 25 mars 2016 précise que « les acheteurs peuvent passer un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsque les travaux, fournitures ou services ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé, pour des raisons techniques ».
Tel sera notamment le cas lorsque des travaux répondant aux besoins de la personne publiques ne peuvent pas être réalisés par un autre opérateur économique.
Il est donc nécessaire qu’il n’existe aucune solution alternative ou de remplacement raisonnable.
L’absence de concurrence ne doit pas résulter d’une restriction artificielle des caractéristiques du marché public.
En conséquence, pour pouvoir se soustraire aux règles procédurales gouvernant les marchés publics, la collectivité devra justifier de la spécificité des travaux à accomplir et de son impossibilité à mettre en concurrence d’autres entrepreneurs.
Partant, la doctrine considère que si les collectivités veulent continuer à profiter de pures opportunités immobilières,« les choses se compliquent lorsqu’elles souhaitent influer sur l’ouvrage qu’elles ont l’intention d’acquérir - ou de louer - en l’état futur d’achèvement car, dans ce cas, le droit des marchés publics aura vocation à s’appliquer » [11].
Il est dont important pour la collectivité de mesurer avec soin sa part d’influence dans le projet, sans exclure l’éventuel appréciation in concreto du Juge ou à défaut de mettre en place les outils nécessaires d’une mise en concurrence et publicité.
A défaut, le risque d’une requalification (contrôle de légalité, recours tiers lésé, …) et des conséquences s’y afférentes est patente.
Nicolas Papiachvili et Marie Jakobi,
Avocats au Barreau de Lille
www.papiachvili-avocat.fr
[1] « Construire, acquérir ou louer un ouvrage sans publicité ni mise en concurrence » - AJ collectivités territoriales 2018 n p.317, Olivier Didriche.
[2] CJCE, 19 avril 1994, n° C-331/92.
[3] « Le bail des locaux en l’état futur d’achèvement », RDI 2014n p.546, Philippe Riglet ; Jean-Luc Tixier.
[4] CJCE, 7 décembre 2000, C-324/98.
[5] CJUE, 10 juillet 2014, C-213/13.
[6] CE, 25 février 1994, n°255641, Sté Sofap Marignan.
[7] CE, 14 mai 2008, n°280370, Cté de communes de Millau-Grands Causses.
[8] « Construire, acquérir ou louer un ouvrage sans publicité ni mise en concurrence » - AJ collectivités territoriales 2018 n p.317, Olivier Didriche.
[9] « Le nouveau champ d’application des marchés de travaux. Evolutions, révolutions, incertitudes », AJDA 2016, J-M Peyrical.
[10] « Construire, acquérir ou louer un ouvrage sans publicité ni mise en concurrence » - AJ collectivités territoriales 2018 n p.317, Olivier Didriche.
[11] VEFA et marché public de travaux, le nouvel état du droit, Contrats marchés publ. 2016, n°8-9, E. Fatöme, L.Richer.